Texte de Madame de Motteville lu par Géraldine Berger.
Enregistrement : service PAVM | DNUM de l’Université Jean Moulin Lyon 3 dans le cadre du webdocumentaire https://medecin-et-douleur-16e18e.huma-num.fr/
Introduction (Raphaële Andrault et Ariane Bayle) :
Françoise de Motteville était l’une des favorites d’Anne d’Autriche. Dans ses mémoires, elle relate en des termes particulièrement éprouv...ants la lente agonie de la reine, qui mourut d’un cancer du sein en janvier 1666. Selon la mémorialiste, les douleurs « excessives » que la Reine subit depuis plusieurs mois avec une constance admirable, « au lieu de l’emporter hors d’elle-même », l’ont « comme liée davantage à Dieu ». L’extrait, qui pourra heurter la sensibilité de certains auditeurs, montre l’ambivalence de la figure du chirurgien, dont l’intervention, pourtant nécessaire, est comparée à celle d’un bourreau. La souffrance de la reine est d’ailleurs jugée si « extrême » qu’on lui administre du jus de pavot.
Texte (Madame de Motteville) :
La Reine-Mère demeura dans cet état jusques au 22 août, qu’elle se trouva tout à coup beaucoup mieux. Sa plaie devient plus belle : au lieu qu’auparavant elle s’enfonçait chaque jour, elle commença de se remplir, et de se modifier, et sa fièvre diminua tout-à-fait, si bien que cette Princesse, par son amendement, fut trouvée capable de supporter les remèdes d’Alliot. Il commença pour notre malheur de les y appliquer le vingt-quatrième [jour] du même mois ; et cette constante Reine, sortant d’un tourment, rentra tout aussitôt dans un autre, qui ne fut guère moins violent, mais qui fut beaucoup plus long. D’abord Alliot, pour engager cette illustre Malade à ses cruautés, adoucit la force de ses remèdes, et dans ce commencement il y eut de petits intervalles, où les Médecins firent espérer à la Reine-Mère quelque bon succès de la Science de cet Homme. Ils mortifiaient la chair, et ensuite on la coupait par tranches avec un rasoir. Cette Opération était étonnante à voir. Elle se faisait les matins, et les soirs, en présence de toute la Famille Royale, des Médecins, Chirurgiens, et de toutes les Personnes qui avaient l’honneur de servir cette Princesse, et de l’approcher familièrement. Elle avait sans doute de la peine d’exposer une portion de son Corps à la vue de tant de personnes, où ce monstre de Cancer qu’elle portait au sein n’empêchait pas qu’il n’y eût encore de quoi l’admirer […]. Elle se voyait couper la chair, avec une patience et une douceur estimable ; et souvent elle disait, qu’elle n’aurait jamais cru avoir une destinée si différente de celle des autres Créatures : Que personne ne pourrissait qu’après la Mort, et que pour elle Dieu l’avait condamnée à pourrir, pendant sa vie. Dans tous ces temps-là, elle souffrait toujours beaucoup ; mais, ces douleurs s’augmentèrent excessivement, quand les remèdes d’Alliot approchèrent de la chair vive. Elle en vint enfin à une telle extrémité de souffrance, qu’ayant perdu l’usage de dormir, on lui faisait prendre toutes les nuits du jus de Pavot. Par là seulement, elle pouvait trouver quelque relâche à ses douleurs ; et, quoi qu’il fût aisé de juger que ce remède la conduirait plus vite à la mort, il était impossible d’en blâmer l’usage, parce que ce soulagement si funeste mettait quelques moments d’intervalle à la longueur de son supplice. Il y eut néanmoins des jours et des temps que Vallot et Guenaut, après l’avoir tant de fois condamnée dirent qu’elle ne mourrait point de son Cancer ; mais ils se trompèrent en tout, et jamais je ne les ai vu faire de jugements certains sur cette maladie.
Réf. : Françoise de Motteville, Mémoires pour servir à l’histoire d’Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII, Amsterdam, chez François Changuion, 1723, t. V, p. 417-419.
Licence
Creative Commons Attribution 4.0 International (CC-BY-4.0)Collection
nakala:title | Français | Les intermittences d’un long supplice | |
Anglais | A Long and Intermittent Agony | ||
nakala:creator | Géraldine Berger et Madame De Motteville | ||
nakala:created | 2020 | ||
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Texte de Madame de Motteville lu par Géraldine Berger. Enregistrement : service PAVM | DNUM de l’Université Jean Moulin Lyon 3 dans le cadre du webdocumentaire https://medecin-et-douleur-16e18e.huma-num.fr/ Introduction (Raphaële Andrault et Ariane Bayle) : Françoise de Motteville était l’une des favorites d’Anne d’Autriche. Dans ses mémoires, elle relate en des termes particulièrement éprouvants la lente agonie de la reine, qui mourut d’un cancer du sein en janvier 1666. Selon la mémorialiste, les douleurs « excessives » que la Reine subit depuis plusieurs mois avec une constance admirable, « au lieu de l’emporter hors d’elle-même », l’ont « comme liée davantage à Dieu ». L’extrait, qui pourra heurter la sensibilité de certains auditeurs, montre l’ambivalence de la figure du chirurgien, dont l’intervention, pourtant nécessaire, est comparée à celle d’un bourreau. La souffrance de la reine est d’ailleurs jugée si « extrême » qu’on lui administre du jus de pavot. Texte (Madame de Motteville) : La Reine-Mère demeura dans cet état jusques au 22 août, qu’elle se trouva tout à coup beaucoup mieux. Sa plaie devient plus belle : au lieu qu’auparavant elle s’enfonçait chaque jour, elle commença de se remplir, et de se modifier, et sa fièvre diminua tout-à-fait, si bien que cette Princesse, par son amendement, fut trouvée capable de supporter les remèdes d’Alliot. Il commença pour notre malheur de les y appliquer le vingt-quatrième [jour] du même mois ; et cette constante Reine, sortant d’un tourment, rentra tout aussitôt dans un autre, qui ne fut guère moins violent, mais qui fut beaucoup plus long. D’abord Alliot, pour engager cette illustre Malade à ses cruautés, adoucit la force de ses remèdes, et dans ce commencement il y eut de petits intervalles, où les Médecins firent espérer à la Reine-Mère quelque bon succès de la Science de cet Homme. Ils mortifiaient la chair, et ensuite on la coupait par tranches avec un rasoir. Cette Opération était étonnante à voir. Elle se faisait les matins, et les soirs, en présence de toute la Famille Royale, des Médecins, Chirurgiens, et de toutes les Personnes qui avaient l’honneur de servir cette Princesse, et de l’approcher familièrement. Elle avait sans doute de la peine d’exposer une portion de son Corps à la vue de tant de personnes, où ce monstre de Cancer qu’elle portait au sein n’empêchait pas qu’il n’y eût encore de quoi l’admirer […]. Elle se voyait couper la chair, avec une patience et une douceur estimable ; et souvent elle disait, qu’elle n’aurait jamais cru avoir une destinée si différente de celle des autres Créatures : Que personne ne pourrissait qu’après la Mort, et que pour elle Dieu l’avait condamnée à pourrir, pendant sa vie. Dans tous ces temps-là, elle souffrait toujours beaucoup ; mais, ces douleurs s’augmentèrent excessivement, quand les remèdes d’Alliot approchèrent de la chair vive. Elle en vint enfin à une telle extrémité de souffrance, qu’ayant perdu l’usage de dormir, on lui faisait prendre toutes les nuits du jus de Pavot. Par là seulement, elle pouvait trouver quelque relâche à ses douleurs ; et, quoi qu’il fût aisé de juger que ce remède la conduirait plus vite à la mort, il était impossible d’en blâmer l’usage, parce que ce soulagement si funeste mettait quelques moments d’intervalle à la longueur de son supplice. Il y eut néanmoins des jours et des temps que Vallot et Guenaut, après l’avoir tant de fois condamnée dirent qu’elle ne mourrait point de son Cancer ; mais ils se trompèrent en tout, et jamais je ne les ai vu faire de jugements certains sur cette maladie. Réf. : Françoise de Motteville, Mémoires pour servir à l’histoire d’Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII, Amsterdam, chez François Changuion, 1723, t. V, p. 417-419. |
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Anglais |
https://medecin-et-douleur-16e18e.huma-num.fr/en/excerpts Introduction (Raphaële Andrault, Ariane Bayle, translated by Sarah Novak): Françoise de Motteville was one of Anne of Austria's favourites. In her memoirs, she recounts in particularly harrowing terms the slow agony of the Queen, who died of breast cancer in January 1666. According to the author, the “excessive pain” that the Queen has been experiencing for several months with admirable constancy, “instead of carrying her out of herself, has linked her more closely to God”1. The following excerpt, which may shock the sensibilities of some listeners, shows the ambivalence of the figure of the surgeon, whose necessary intervention is compared to that of a torturer. The Queen's suffering is considered so “extreme” that she is given poppy juice. Ref: Françoise de Motteville, Mémoires pour servir à l’histoire d’Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII, Amsterdam, François Changuion, 1723, t. V, p. 417-419. |
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dcterms:language | dcterms:RFC5646 | français (fr) | |
dcterms:subject | Français | Madame de Motteville | |
Français | Douleur | ||
Français | histoire de la médecine | ||
Anglais | Pain | ||
Anglais | history of medicine | ||
Anglais | Madame de Motteville |