Texte de Madame de Sévigné lu par Géraldine Berger.
Enregistrement : service PAVM | DNUM de l’Université Jean Moulin Lyon 3 dans le cadre du webdocumentaire https://medecin-et-douleur-16e18e.huma-num.fr/
Introduction (Raphaële Andrault et Ariane Bayle) :
Madame de Sévigné a assisté, pendant les dix dernières années de la vie de La Rochefoucauld, à ses crises de goutte très douloureuses. Elle ...les relate en montrant tantôt de l’humour, tantôt de la compassion, comme c’est le cas ici. Bien qu’elle loue la vertu de constance de son ami et son détachement progressif à l’approche de la mort, l’épistolière fait du spectacle de sa douleur l’occasion d’une réflexion critique à l’égard des injonctions stoïciennes à dominer ses pensées et ses émotions. Pour elle, le statut des douleurs aiguës est exceptionnel : à la différence des autres choses pénibles que nous pouvons éprouver, elles sont irrémédiables car aucune pensée n’est capable de nous en délivrer.
Texte (Madame de Sévigné) :
À Madame de Grignan. À Paris, ce 23 mars [1671] :
Je fus hier chez M. de La Rochefoucauld ; je le trouvai criant les hauts cris des douleurs extrêmes de la goutte. Ses douleurs étaient au point que toute sa constance était vaincue, sans qu’il en restât un seul brin ; l’excès de ses douleurs l’agitait d’une telle sorte qu’il était en l’air dans sa chaise, avec une fièvre violente. Il me fit une pitié extrême ; je ne l’avais jamais vu en cet état. Il me pria de vous le mander, et de vous assurer que les roués ne souffrent point en un moment ce qu’il souffre la moitié de sa vie, et qu’ainsi il souhaite la mort comme le coup de grâce. La nuit n’a pas été meilleure.
À Madame de Grignan. Achevée à Paris, mercredi 4 mai [1672] :
Nous trouvions l’autre jour qu’il n’y avait de véritable mal das la vie que les grandes douleurs. Tout le reste est dans l’imagination, et dépend de la manière dont on conçoit les choses. Tous les autres maux trouvent leur remède, ou dans le temps, ou dans la modération, ou dans la force de l’esprit ; les réflexions les peuvent adoucir, la dévotion, la philosophie. Pour les douleurs, elles tiennent l’âme et le corps. La vue de Dieu les fait souffrir avec patience ; elle fait qu’on en profite, mais elle ne les adoucit pas.
Voilà un discours qui aurait tout l’air d’avoir été rapporté tout entier du faubourg Saint-Germain ; cependant il est de chez ma pauvre tante, où j’étais l’aigle de la conversation. Elle nous en donnait le sujet par ses extrêmes souffrances, qu’elle ne souffre pas qu’on mette en comparaison avec nul autre mal de la vie. M. de La Rochefoucauld est bien de cet avis ; il est toujours accablé de goutte.
Réf : Madame de Sévigné, Correspondance, éd. Roger Duchêne, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1972, resp. p. 197 et p. 499.
Licence
Creative Commons Attribution 4.0 International (CC-BY-4.0)Collection
nakala:title | Français | Les douleurs aiguës, seul mal véritable | |
Anglais | Acute Pain, the Only True Evil | ||
nakala:creator | Géraldine Berger et Madame de Sévigné | ||
nakala:created | 2020 | ||
nakala:type | dcterms:URI | Son | |
nakala:license | Creative Commons Attribution 4.0 International (CC-BY-4.0) | ||
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Texte de Madame de Sévigné lu par Géraldine Berger. Enregistrement : service PAVM | DNUM de l’Université Jean Moulin Lyon 3 dans le cadre du webdocumentaire https://medecin-et-douleur-16e18e.huma-num.fr/ Introduction (Raphaële Andrault et Ariane Bayle) : Madame de Sévigné a assisté, pendant les dix dernières années de la vie de La Rochefoucauld, à ses crises de goutte très douloureuses. Elle les relate en montrant tantôt de l’humour, tantôt de la compassion, comme c’est le cas ici. Bien qu’elle loue la vertu de constance de son ami et son détachement progressif à l’approche de la mort, l’épistolière fait du spectacle de sa douleur l’occasion d’une réflexion critique à l’égard des injonctions stoïciennes à dominer ses pensées et ses émotions. Pour elle, le statut des douleurs aiguës est exceptionnel : à la différence des autres choses pénibles que nous pouvons éprouver, elles sont irrémédiables car aucune pensée n’est capable de nous en délivrer. Texte (Madame de Sévigné) : À Madame de Grignan. À Paris, ce 23 mars [1671] : Je fus hier chez M. de La Rochefoucauld ; je le trouvai criant les hauts cris des douleurs extrêmes de la goutte. Ses douleurs étaient au point que toute sa constance était vaincue, sans qu’il en restât un seul brin ; l’excès de ses douleurs l’agitait d’une telle sorte qu’il était en l’air dans sa chaise, avec une fièvre violente. Il me fit une pitié extrême ; je ne l’avais jamais vu en cet état. Il me pria de vous le mander, et de vous assurer que les roués ne souffrent point en un moment ce qu’il souffre la moitié de sa vie, et qu’ainsi il souhaite la mort comme le coup de grâce. La nuit n’a pas été meilleure. À Madame de Grignan. Achevée à Paris, mercredi 4 mai [1672] : Nous trouvions l’autre jour qu’il n’y avait de véritable mal das la vie que les grandes douleurs. Tout le reste est dans l’imagination, et dépend de la manière dont on conçoit les choses. Tous les autres maux trouvent leur remède, ou dans le temps, ou dans la modération, ou dans la force de l’esprit ; les réflexions les peuvent adoucir, la dévotion, la philosophie. Pour les douleurs, elles tiennent l’âme et le corps. La vue de Dieu les fait souffrir avec patience ; elle fait qu’on en profite, mais elle ne les adoucit pas. Voilà un discours qui aurait tout l’air d’avoir été rapporté tout entier du faubourg Saint-Germain ; cependant il est de chez ma pauvre tante, où j’étais l’aigle de la conversation. Elle nous en donnait le sujet par ses extrêmes souffrances, qu’elle ne souffre pas qu’on mette en comparaison avec nul autre mal de la vie. M. de La Rochefoucauld est bien de cet avis ; il est toujours accablé de goutte. Réf : Madame de Sévigné, Correspondance, éd. Roger Duchêne, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1972, resp. p. 197 et p. 499. |
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Anglais |
https://medecin-et-douleur-16e18e.huma-num.fr/en/excerpts Introduction (Raphaële Andrault and Ariane Bayle, translated by Sarah Novak): During the last ten years of La Rochefoucauld's life, Madame de Sévigné witnessed his very painful episodes of gout. She recounts them, sometimes with humour, sometimes with compassion, as is the case here. Although she praises her friend's virtue of constancy and his progressive detachment as death closes in on him, the letter-writer uses the spectacle of La Rochefoucauld's pain as an opportunity for critical reflection on the Stoic injunction to remain in constant control of one's thoughts and emotions. For her, the status of acute pain is exceptional: unlike other unpleasant things we may experience, it is irremediable because no thought is capable of freeing us from such pain. Ref : Madame de Sévigné, Correspondance, ed. Roger Duchêne, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1972, p. 197 and p. 499. |
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dcterms:language | dcterms:RFC5646 | français (fr) | |
dcterms:subject | Français | Douleur | |
Français | histoire de la médecine | ||
Français | Madame de Sévigné | ||
Anglais | Pain | ||
Anglais | history of medicine | ||
Anglais | Madame de la Sévigné |